Un député de l'Indre veut interdire l'écriture inclusive dans les services publics
18 février 2021 à 9h15 par Etienne Escuer
Faut-il interdire l'utilisation de l'écriture inclusive aux personnes en charge d'une mission de service public ? C'est le souhait du député LREM de l'Indre, François Jolivet.
S'inquiétant de l'apparition de nouveaux mots, comme « toustes » pour « tous/toutes » ou « celleux » pour « celles/ceux », ainsi que de l'usage du point médian (« étudiant·e »), le député LREM de l'Indre, François Jolivet, a décidé de déposer une proposition de loi pour interdire l'usage de l'écriture dite inclusive aux personnes en charge d'une mission de service public. Le texte, transmis ce mercredi 17 février à l'Assemblée nationale, est cosigné par une soixantaine de députées et députés de la majorité et de l'opposition LR.
Au hasard de publications parfois officielles, nous découvrons des mots nouveaux : « iels » pour « ils/elles », « toustes » pour « tous/toutes », « celleux » pour « celles/ceux », « Cher·e·s lecteur·rice·s déterminé·e·s ». #ecritureinclusive
— François Jolivet (@FJolivet36) February 11, 2021
Les experts de la dyslexie, dyspraxie et dysphasie sont préoccupés, et alertent sur les difficultés supplémentaires engendrées par cette forme d’écriture. #ecritureinclusive
— François Jolivet (@FJolivet36) February 11, 2021
L'#ecritureinclusive est autant illisible que discriminante. Le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes est juste, mais les chemins qu’il emprunte sont parfois déroutants et inutiles. Ils fracturent, et ne réparent rien.
— François Jolivet (@FJolivet36) February 11, 2021
La représentation des femmes dans l'écriture, un débat vieux comme le monde ?
Qu'appelle-t-on exactement écriture inclusive ? « Cela désigne un ensemble de modalités pour représenter à égalité femmes et hommes dans la langue », explique Laélia Véron, maîtresse de conférences en stylistique et langue françaises à l'université d'Orléans. « On pense très souvent au point médian, mais c'est aussi l'accord des noms de métiers au féminin, comme institutrice ou directrice, ou la double flexion (« les étudiantes et les étudiants »). Le point médian, c'est d'ailleurs l'abréviation de la double flexion. » Au quotidien, l'écriture inclusive est déjà bien présente, comme dans l’expression « mesdames, messieurs », et certaines formes ne font plus débat, comme « né(e) », sur notre carte d'identité par exemple.
Selon le site internet Décideurs, qui a eu accès au texte de la proposition de loi, cette dernière est rédigée comme ceci :
1° Les personnes morales en charge d’une mission de service public doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques édictées par l’Académie française.
2° Les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine, ne sont pas autorisées.
L'opposition à de nouvelles formes d'écriture inclusive n'est pas nouvelle. Ces dernières années, le débat semble s'être focalisé sur le point médian. « On pourrait se dire que si l'on enlève le point médian, cela enlèverait 90% des oppositions. Mais cela se déplacerait sans doute sur autre chose », détaille Laélia Véron. « Les formes font débat parce qu'elles révèlent des débats de société sur ces questions d'égalité. » Selon la chercheuse, ce n'est pas la première fois que la société s'écharpe sur la question de la représentation des femmes dans la langue. « Des révolutionnaires femmes, pendant la Révolution française, parlaient déjà de ces questions de genres grammaticaux », poursuit Laélia Véron. « Au 17ème siècle, il y a eu des frondes contre les femmes autrices. Madame de Sévigné, aussi, à l’époque participait à des débats sur cette question »
Le masculin peut-il représenter le neutre ?
Parmi les arguments de François Jolivet et des opposants à l'écriture inclusive, on retrouve notamment le fait qu'elle serait un choix « personnel et militant, en rien majoritaire ». De quoi faire sourire Laélia Véron : « La langue a toujours été un lieu de débat politique. Est-ce que le masculin peut vraiment représenter le neutre ? Ou est-ce que dire ça, ce n'est pas déjà politique ? ». La fameuse règle du masculin qui l'emporte sur le féminin n'a d'ailleurs pas toujours existé et fut longtemps en concurrence avec l'accord de proximité. « Racine l'employait dans Athalie, par exemple, avec « trois jours et trois nuits entières ». On emploie d’ailleurs beaucoup cette règle de l'accord de proximité à l'oral de nos jours ».
Si le député LREM de l'Indre indique que « les experts de la dyslexie, dyspraxie et dysphasie sont préoccupés et alertent sur les difficultés supplémentaires engendrées par cette forme d'écriture », cette analyse est contestée par Laélia Véron. Pour la chercheuse orléanaise, il n'y a pas encore de preuves scientifiques de cette affirmation. Si elle admet que l'usage du point médian peut présenter des difficultés d'accès, c'est avant tout en raison de son aspect nouveau, selon elle. « Il faut comprendre son utilisation et comprendre que c'est une abréviation. On utilise d'autres abréviations, cela s'apprend, c'est comme « M. » pour dire « Monsieur » ».
Trop complexe, ou juste une habitude à prendre ?
L'argument d'une « complexification » de la langue française serait quant à lui assez hypocrite, alors que cette dernière regorge de pièges. « Les personnes qui ne veulent pas de l'écriture inclusive parce qu'elle serait trop compliquée veulent-elles aussi des réformes pour simplifier l'orthographe ? » questionne malicieusement la chercheuse. « Il y a souvent de très forts mouvements contre les réformes de l'orthographe, au prétexte que la complexité de la langue française ferait sa beauté. Dans ce cas-là, on aime la complexité, mais quand il s'agit de l'écriture inclusive, on l'aime un peu moins... »
Finalement, pour Laélia Véron, tout ne serait qu'une question d'habitude. « Le mot « étudiante » a fait hurler à l'époque », rappelle-t-elle. « Quant à « autrice », il s'impose très rapidement alors qu'il a aussi fait débat. La langue évolue, change et c'est normal. C'est bon signe, même, car c'est signe d'une langue vivante. En France, on a un peu cette idée d'une langue qu'il faudrait mettre dans une boîte sans y toucher pour la conserver, alors qu'au contraire ce qui la rend vivante et l'enrichit, c'est de la faire bouger. »
Une proposition de loi symbolique ?
Quel impact aura la proposition de loi de François Jolivet si elle est approuvée par une majorité de députées et députés ? La loi peut-elle vraiment interdire l'utilisation d'une écriture ? « On peut faire toutes les lois que l'on veut, c'est toujours l'usage qui l'emportera », estime Laélia Véron. « Les lois peuvent donner ou non des coups de pouce à l'usage. Mais légiférer contre un usage, cela me semble tout de même compliqué. » La proposition de loi vise actuellement à interdire l'écriture inclusive dans les documents administratifs et pour les organismes et personnes en charge d'une mission de service public, selon sa formulation. « Est-ce qu'on va interdire à Emmanuel Macron d'utiliser « Françaises, Français » dans ses discours ? », préfère ironiser la maîtresse de conférence à l'université d'Orléans. « Parce que c'est une forme d'écriture inclusive. D'ailleurs, quand De Gaulle a dit ça pour la première fois, on avait hurlé à l'époque, alors que cela ne choque plus aujourd'hui. » Laélia Véron ne voit d'ailleurs pas « comment on peut interdire aux gens de parler de la façon dont ils parlent. Je ne sais pas si la personne qui a déposé cette proposition de loi y croit vraiment ou si c'est un coup de buzz pour ne pas parler des problèmes actuels à l'école, plus difficiles à aborder. »
Laélia Véron approfondit la question de l'écriture inclusive et d’autres débats linguistiques dans son podcast « Parler comme jamais ».
L'écriture inclusive, c'est quoi? Pourquoi le débat s'est-il focalisé sur le point médian et pas sur d'autres formes plus en usage? Est-elle plus excluante qu'incluante? Est-ce qu'elle permet vraiment de penser l'égalité?
— Laélia Véron (@Laelia_Ve) February 6, 2021
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(Avec AFP)