Moins de bébés pour sauver la planète ? Pas forcément une bonne idée selon ce spécialiste
11 avril 2024 à 7h00 par Guillaume Pivert
Pixabay
Crédit : La Terre compte aujourd'hui 8 milliards d'habitants
Emmanuel Pont est ingénieur et auteur de Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?
En 50 ans, la population mondiale a doublé, dépassant les 8 milliards d’habitants. Nous n’avons jamais été aussi nombreux. La situation est-elle soutenable pour la Terre ? Comment combiner une population toujours plus importante et un réchauffement climatique qui s’accélère ? Certains, par conviction, ou par crainte de l’avenir, ne veulent pas avoir d’enfant. Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?, c’est justement le titre du livre écrit par l’ingénieur Emmanuel Pont (Payot, 2022).
Vibration : comment avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ?
Emmanuel Pont : il y a deux raisons. La première, le sujet de l'écologie m'est un peu tombé sur la tête. Je me suis pris une claque à un moment, quand j'ai eu un peu de temps pour lever le nez du guidon et me demander ce qui se passait dans le monde. Et c'est vrai qu'on peut lire ici ou là que faire un enfant, c'est le pire pour l'environnement, que la croissance de la population est le coupable principal de la crise écologique... Et l'autre raison, c'était qu’en temps que père éventuel à cette époque-là, je me demandais si vraiment c'était une bonne chose de faire un enfant.
V : Est-ce qu'on a une idée du pourcentage de couples qui ne souhaitent pas avoir d'enfant ?
EP : C’est autour de 20%. Pour des raisons strictement écologiques, c'est difficile à dire. On sait toujours que les choix de fécondité sont toujours complexes, ils dépendent de beaucoup de choses. C'est rarement la raison principale, c'est souvent une raison invoquée parce que les gens y pensent, mais qui n'est pas forcément très claire. C'est probable que ça n'est pas tant d'effet que ça sur le choix des gens.
En revanche, je pense que nous sommes nombreux à réfléchir, et c'est normal, parce que ça devient un sujet de plus en plus important. Les gens s'interrogent sur quel peut être le poids écologique d'un enfant mais aussi sur le monde dans lequel vivra cet enfant. Ce sont deux réflexions de nature très différentes et les deux ont un poids dans la question.
V : Renoncer à faire des enfants, a-t-il un impact sur la planète ?
EP : Non, ça ne change pas grand-chose. Aujourd’hui, les grandes questions sur l'écologie sont parmi les adultes, elles sont même parmi les adultes qui ont du pouvoir. Donc compter sur les enfants, qui seront peut-être des consommateurs dans 30 ans et des décideurs dans 60 pour faire quelque chose sur l'environnement, c'est beaucoup trop tard.
Et puis, l’idée que si on était moins nombreux, moins on polluerait, n'existe pas dans le monde réel. Dans le monde réel, si on était deux fois moins, on ne polluerait pas deux fois moins, on serait dans un monde différent.
V : D’autant qu’en enfant né en France ou en Afrique n’a pas du tout le même poids environnemental.
EP : La croissance de la population mondiale est en train de se stabiliser, sauf l'Afrique. Aujourd'hui l'Afrique est autour de 1,3 milliard. Sa population devrait être multipliée à peu près par 3 d’ici 2100. La population augmente le plus dans les pays qui sont les plus pauvres, et donc qui polluent le moins. Donc ça peut poser des problèmes locaux, écologiques et sociaux, mais c'est une question d'abord locale. En revanche, sur des questions globales comme le climat, aujourd'hui les émissions du nigérien moyen, c'est 100 fois moins que le français moyen. Quelle que soit la natalité au Niger, ça ne change absolument rien à la question du climat.
Vibration : dans une étude parue dans The Lancet, des scientifiques estiment que la population mondiale pourrait commencer à diminuer avant la fin du siècle. Serait-ce une bonne nouvelle pour la planète ?
EP : Je pense encore que ça ne change pas grand-chose si on est capable d'avoir un monde soutenable écologiquement à 10 milliards d'habitants. Donc certes, c'est un petit peu plus facile quand on est moins nombreux, mais dans tous les cas, la population ne va pas avoir des différences gigantesques parce qu'il y a une inertie énorme. Vu qu'on vit assez longtemps, les modifications de population, mettent très longtemps à se traduire. Si on voulait diviser la population par deux en France, il faudrait instituer l'enfant unique, pour qu'on n'ait plus qu'un seul enfant, et attendre 2100. C'est vraiment très lent par rapport aux échelles de temps de l'écologie.
Par ailleurs, à partir du moment où on considère la population comme une variable qu'on peut ajuster, historiquement ça ne se passe pas très bien. C'est-à-dire qu'on choisit qu'il y a le droit de se reproduire, qu'on stérilise, qu'on doit avorter de force.