Féminicide de Mérignac : le procès aux assises de l'ex-mari de Chahinez Daoud, brûlée vive en pleine rue, s'ouvre ce lundi

Publié : 24 mars 2025 à 11h57 par Diane Charbonnel

Crédit image: CCO photo d'illustration

Près de quatre ans après ce terrible féminicide à Mérignac, l'ex-mari de Chahinez Daoud qui a été brûlée vive devant chez elle, en pleine rue, est jugé à partir de ce lundi et jusqu'à vendredi devant la cour d'assises de la Gironde. Retour sur cette affaire qui a ému la France entière et qui a été marquée par une série de défaillances de la part des services de Police.

Le 4 mai 2021 à 18h25, la police découvrait devant une maison à Mérignac, dans la métropole bordelaise, le corps d’une femme sur le trottoir. Chahinez Daoud, 31 ans, mère de trois enfants venait d’être tuée par son ex-conjoint avec qui elle était en instance divorce.

Il lui avait tiré dans les jambes avant de la brûler vive en pleine rue devant chez elle.

Ce féminicide a ému la France entière et a été marqué par une série de défaillances et de manquements de la part des services de police. L’homme est jugé à partir de lundi devant la cour d’assises de la Gironde pour assassinat.

 

Retour sur les faits

Chahinez Daoud nait en 1990 en Algérie dans la banlieue Est d’Alger. Elle se marie et accueille son premier enfant à 18 ans, un garçon. Cinq ans plus tard, en 2013, elle donne naissance à son deuxième enfant, une petite fille. Son mari meurt accidentellement plus tard dans un incendie.

Chahinez rencontre alors Mounir Boutaa en 2015, en Algérie. Ce Français d’origine algérienne est installé en France depuis 16 ans. Il y a d’ailleurs rencontré sa première femme avec qui il a eu trois enfants. C’est lors de son divorce avec cette femme que Mounir Boutaa, en vacances en Algérie, fait la connaissance de Chahinez. 

Ils se marient quelques mois seulement après leur rencontre en juin 2015 et Chahinez tombe rapidement enceinte. Elle rejoint alors, avec sa fille, Mounir Boutaa en France, où elle donne naissance à leur enfant en août 2016.  

Le fils aîné de Chahinez est lui resté en Algérie mais une demande de regroupement familial est déposée. Ses proches la décrivent alors comme gentille, rayonnante, douce, généreuse et comme une mère aimante et attentive au bien-être de ses enfants.  

Mais selon les parents de Chahinez, Kamel et Djohar Daoud, Mounir Boutaa aurait changé de comportement avec leur fille lors de la deuxième année de leur mariage, au moment de son arrivée en France. "En Algérie, il était comme un ange. Il m'appelait papa, me baisait la tête, il était doux. C'est une fois en France qu'il a commencé à devenir un monstre avec Chahinez et à la violenter." 

 

Une condamnation en 2020 pour violences volontaires par conjoint 

Au fil des mois, selon les témoignages des proches de Chahinez, Mounir Boutaa a un comportement bizarre et se montre de plus en plus jaloux.

En juin 2019, le couple s’installe avec leur enfant et la fille de Chahinez dans une maison d’un quartier résidentiel de Mérignac. Une amie de Chahinez évoque alors le début de l’enfer pour la jeune femme. Elle est victime de violences de plus en plus fréquentes, "il l’insulte, la tape, la viole". 

Selon des proches de Chahinez, Mounir Boutaa exerce une emprise sur sa femme, lui affirmant que c’est grâce à lui qu’elle a pu venir en France. Il la manipule en utilisant ses enfants comme moyen de pression. Il la menace notamment de s’opposer à la venue en France de son fils aîné, resté en Algérie, si elle ne reste pas avec lui. Chahinez reste pour ses enfants.

La situation se dégrade encore après le confinement au printemps 2020. Le mari mélange alcool et médicaments. En juin de la même année, Chahinez Daoud porte plainte. Mounir Boutaa vient de la menacer avec un couteau et a tenté de l’étrangler "sous prétexte qu’il ne voulait pas qu’elle porte un pantalon en jean".

Elle explique, lors de sa plainte, avoir perdu connaissance deux fois au moment où il lui a serré la gorge.

Mounir Boutaa est interpellé et jugé en comparution immédiate. Le 25 juin 2020, il est condamné à 18 mois de prison dont 9 mois ferme pour violences volontaires par conjoint en état de récidive puisque sept condamnations sont déjà inscrites à son casier judiciaire, notamment pour violences.

 

Mounir Boutaa continue d'entrer en contact avec Chahinez alors qu'il en a l'interdiction

Mounir Boutaa est incarcéré au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. Depuis la prison, il continue d’appeler et d’envoyer des messages à Chahinez alors qu’il en a l’interdiction. Chahinez Daoud dépose une nouvelle plainte contre lui le 7 août 2020, en raison de tous ces messages. Plainte qu’elle retire finalement par la suite.

Une procédure pour non-respect de l’interdiction d’entrer en contact avec sa femme est malgré tout lancée, mais elle est classée sans suite.

En octobre 2020, moins de 4 mois après avoir été incarcéré, Mounir Boutaa bénéficie d’un aménagement de peine. Il sort de prison pour être accueilli au sein d’une structure chargée d’accompagner les condamnés. Quelques semaines plus tard, sa peine de prison ferme est finalement réduite et Mounir Boutaa est remis en liberté le 9 décembre. Chahinez n’est pas mise au courant de la remise en liberté de son mari. Mais quelques jours plus tard seulement, il reprend contact avec elle et réapparaît au domicile alors qu’il n’en a toujours pas le droit.

Selon les proches de Chahinez, Mounir Boutaa la traque. La jeune femme vit dans la peur. Il la menace, elle vit barricadée et ne dort plus. Les semaines passent, et Mounir Boutaa continue de ne pas respecter l’interdiction d’entrer en contact ou d’approcher sa femme.

 

Une nouvelle plainte est déposée par Chahinez 

Début mars 2021, Chahinez accueille enfin son fils ainé en France, la demande de rapprochement familial a finalement abouti. La jeune femme et ses trois enfants de 12, 7 et 4 ans, vivent ensemble réunis dans leur maison de Mérignac. 

Mais quelques jours seulement après l’arrivée de son fils, Chahinez est très violemment agressée par Mounir Boutaa. Ce matin du 15 mars 2021, il attendait Chahinez Daoud qui revenait de l’école sur le parking d’un magasin situé tout près de la maison de Mérignac. Très violemment, il force Chahinez à entrer dans son fourgon stationné sur le parking. Il la frappe et tente de l’étrangler. Chahinez réussit à s’enfuir et trouve refuge dans le magasin. Mounir Boutaa prend la fuite.

Chahinez dépose plainte le jour même au commissariat de Mérignac. Mais cette plainte est mal renseignée par le policier chargé de la recueillir. Elle est transmise au parquet qui demande à ce qu’elle soit renvoyée, mais ce ne sera jamais le cas.  On apprendra plus tard que le policier qui a recueilli cette plainte venait lui-même d’être condamné pour violences intra-familiales. 

Suite à cette plainte des investigations sont tout de même menées et Mounir Boutaa est recherché. Deux jours plus tard, le 17 mars, Chahinez Daoud signale la présence de son mari autour de chez elle. Une patrouille de police est envoyée sur les lieux, mais Mounir Boutaa reste introuvable. 

Les investigations des policiers permettent de révéler son lieu de travail, un chantier à Mérignac, et aussi son lieu de résidence, Mounir Boutaa est hébergé chez sa sœur. Mais les policiers souhaitent interpeller l’homme en flagrant délit.  

Dans le cadre de sa peine de prison avec sursis, Mounir Boutaa doit se présenter régulièrement au SPIP, le service pénitentiaire d'insertion et de probation.  C’est ce qu’il fait les 26 mars et 14 avril 2021. Bien qu’il soit recherché, il n’est pas interpellé. 

Quelques jours plus tard, le 29 mars, Mounir Boutaa va même se rendre de lui-même au commissariat de Mérignac très énervé. Il veut  contester la plainte déposée par Chahinez quelques jours plus tôt, estimant ne pas avoir voulu l’étrangler. Il se plaint également de ne pas pouvoir voir ses enfants.  

Si les agents de l’accueil enregistrent bien son nom, le policier chargé du recueil des plaintes, voyant qu’il est très énervé, lui demande de quitter les lieux sans même prendre son identité. Il s’agissait du même policier condamné pour violences intra-familiales qui avait mal enregistré la plainte de Chahinez quelques jours plus tôt. Mounir Boutaa repart du commissariat sans être interpellé.   

 

Le jour des faits 

Les jours passent. Mounir Boutaa semble de moins en moins présent dans la vie de Chahinez. La jeune femme ne le croise plus autour de chez elle. Elle confie même à une amie se réjouir de le voir sortir de sa vie.  

Pourtant, le 30 avril, Mounir Boutaa achète un nouveau véhicule. Un petit utilitaire Renault Express qu’il aménage les 1er et 2 mai dans un parking de Pessac. Dans l’habitacle, il positionne des cartons et rideaux occultant la visibilité. Il confectionne des petites trappes dans ces cartons dissimulées avec de l’adhésif. Il ajoute également des œilletons. L’objectif est de pouvoir observer l’extérieur sans être vu.  

C’est avec cet utilitaire aménagé qu’il se rend dans la rue de la maison de Chahinez. Nous sommes le 4 mai 2021, il est 6h34 du matin. Il se gare dans la rue, à quelques mètres seulement du domicile. Mounir Boutaa reste dans ce fourgon toute la journée, jusqu’à 18h20, heure à laquelle Chahinez sort de chez elle pour aller récupérer ses enfants à l’école.  

Voyant passer Chahinez, il sort par les portes arrière de son utilitaire, armé d’un fusil de chasse chargé. La jeune femme se met à crier. Il lui tire une première balle dans la cuisse gauche. Elle tombe au sol. Il tire alors une seconde balle dans sa cuisse droite.  

Alors que Chahinez se trouve au sol, dans l’incapacité de bouger, Mounir Boutaa retourne dans sa camionnette récupérer un bidon d’essence. Avec, il asperge le corps de Chahinez. Un voisin tente de l’arrêter mais Mounir Boutaa braque l’homme avec son arme. Le voisin ne peut rien faire. Avec un briquet, Mounir Boutaa se baisse vers le corps de Chahinez et met le feu à la jeune femme.  

Mounir Boutaa, toujours armé, tourne les talons sans regarder son ex-femme qu’il vient d’immoler par le feu. Il prend alors la direction de la maison. 

Pendant ce temps, le voisin qui a pu s’approcher de Chahinez après le départ de Mounir Boutaa, tente de sauver la jeune femme avec des couvertes, en vain. Les flammes sont trop fortes. Après un hurlement, Chahinez meurt brûlée vive, en pleine rue, allongée sur le trottoir. 

Le rapport d'autopsie confirmera que ce ne sont pas les tirs dans ses jambes qui ont causé la mort de la jeune femme. Elle était bien consciente au moment où Mounir Boutaa a mis le feu à son corps.  

 

Une vidéo postée sur les réseaux sociaux 

Mounir Boutaa poursuit son chemin et entre dans la maison de Chahinez. Le fils ainé de la jeune femme s’y trouve. Il est allongé dans le lit de sa mère. Mounir Boutaa entre dans la chambre et demande au jeune adolescent de quitter le logement. Mounir Boutaa est toujours armé.  

Le garçon prend la fuite, pieds nus. Il se dirige vers l’école de sa soeur en tentant d’appeler sa mère, sans savoir ce qu’il venait de se passer. Mounir Boutaa, toujours dans la maison, s’empare d’un bidon d’essence utilisé pour la tondeuse et rangé dans le garage. Il déverse le produit, dans les chambres, sur le palier de l’étage et dans le garage avant de mettre le feu et sortir de la maison.  

Depuis le jardin, il prend une vidéo de l’incendie et la poste sur Facebook.  

Il est interpellé quelques instants plus tard par la police, toujours armé et déambulant devant la maison. Placé en garde à vue, Mounir Boutaa reconnaît les faits. Il est placé en détention provisoire le 6 mai 2021 et mis en examen pour meutre par conjoint.    

Après plusieurs mois d’investigations, en février 2024, le juge d’instruction ordonne le jugement de Mounir Boutaa devant la cour d’assises de la Gironde pour assassinat, c’est à dire pour meurtre avec préméditation.  

Les avocates de Mounir Boutaa font appel de cette mise en accusation, expliquant que leur client n’avait pas prémédité son geste. Mais au vu de tous les éléments, l’assissinat est finalement bien retenu en juillet par la chambre de l’instruction. Mounir Boutaa comparaitra devant la cour d’assises pour avoir prémédité le meutre de sa femme. 

 

La défense de Mounir Boutaa 

Le jour du drame, Mounir Boutaa explique aux policiers qui viennent de l’interpeller qu’il avait "une mission" à accomplir en tuant sa femme.  En garde à vue, il reconnaît les faits, expliquant avoir tiré sur sa femme et avoir voulu "la cramer pour tout le mal qu’elle et la justice lui ont fait".  

Il se dit persuadé que sa femme avait un amant, c’est lui qu’il voulait tuer.  Il explique être victime d’injustice, assure qu’il n’était pas violent.  À ses proches, il avait affirmé que Chahinez s’était mariée avec lui pour obtenir des papiers. Au cours d’autres interrogatoires, il évoque aussi son premier mariage et sa première femme qui l’avait accusé de violences conjugales, ce qu’il dément. Ces enfants, issus de cette première union, confirmeront pourtant plus tard ces violences envers leur mère. 

Selon ses avocates, Me Anaïs Divot et Héléna Badescu, Mounir Boutaa serait devenu violent au moment de son accident du travail en 2010. Il aurait "perdu ses repères". 

Les violences continuent lors de son deuxième mariage avec Chahinez. Lorsqu’il est interrogé sur ces violences et notamment sa condamnation à la de prison ferme en 2020, Mounir Boutaa explique qu’il s’agit d’"une injustice"et qu’il n’était pas violent. Lorsqu’il évoque la mort de sa femme, il se persuade qu’elle n’a pas souffert. Il assure aussi ne pas avoir voulu la tuer mais simplement avoir voulu lui faire peur "pour la punir de ce qu’elle lui avait fait".  

Lors de son incarcération, les experts psychiatres qui rencontrent Mounir Boutaa évoquent une personnalité narcissique et paranoïaque, sans aucune empathie ni compassion pour la victime. Il apparaît également qu'au moment des faits, un trouble psychique aurait altéré le discernement de Mounir Boutaa. 

Mais les experts ne parlent pas d’abolition du discernement, Mounir Boutaa, est donc pénalement responsable, et peut être jugé.  

 

Un procès très difficile pour les proches de Chahinez

Son procès devant la cour d’assises de la Gironde va durer 5 jours, du lundi 24 au vendredi 28 mars 2025. Dans cette affaire, cinq policiers ont déjà été sanctionnés. Les parents de Chahinez ont également attaqué l’État pour faute lourde, pour des dysfonctionnements du service public et de la justice. La procédure est toujours en cours et une nouvelle audience est prévue en avril.  

Ce procès, devant la cour d'assises, sera donc bien celui de Mounir Boutaa et non celui de l'État ou de la Police. L’homme devrait rester sur sa position en affirmant qu’il n’avait pas l’intention de tuer Chahinez, mais "de la marquer".  

"C'est sa position", explique Me Plouton, avocat des parents de la victime, "chacun se fera son avis sur la crédibilité de cette position mais ce sont ces mots qui sont très très très loin de ce qui a pu être constaté par les experts, par le médecin légiste et de ce qui a été indiqué par les témoins."

Depuis le drame, les parents de Chahinez ont quitté l’Algérie pour s’installer en France et s’occuper de leurs trois petits enfants dont ils ont la garde. Ils veulent les tenir à l’écart du procès. "Ma petite fille", explique Kamel Daoud, "a très peur qu'il sorte de prison, elle pleure beaucoup, le plus grand garde tout pour lui". Le petit, lui, n'en parle pas. Il ne m'en a parlé qu'une seule fois au parc. Il était sur la balançoire et m'a dit, tu sais Papi, mon papa est méchant. Je lui ai demandé pourquoi. Il m' a répondu, parcequ'il a tué ma maman." 

Si les enfants seront tenus à l’écart du procès, les parents de Chahinez s'apprêtent, eux, à devoir faire face à l’assassin de leur fille. "Ça me fait du mal de savoir que je vais me retrouver en face de lui mais il faut que je sois courageuse", explique Djohar Daoud. 

Le procès promet d’être très suivi, encore aujourd’hui, dans le quartier où vivait Chahinez, l’émotion est palpable. "Des féminicides on sait malheureusement qu'il y en a beaucoup mais quand ça se passe à deux pas de chez soi, ça rend les choses encore plus dramatique", nous explique une voisine. "Les semaines, même les mois qui ont suivi, ça a été très très compliqué d'emprunter ce chemin parceque ça revenait. Et après, on n'oublie jamais." 

 

Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité 

Mounir Boutaa encourt la réclusion criminelle à perpétuité, la plus lourde peine en France. Pour rappel, cette peine est toujours assortie d’une période de sûreté pouvant aller jusqu’à 30 ans maximum. Au-delà de cette période, le condamné peut demander un aménagement de peine comme la liberté conditionnelle.  Dans certains cas, une période de sûreté incompressible peut être prononcée. Aucun aménagement de peine n’est possible mais le condamné peut tout de même demander à réduire cette période de sûreté après 30 ans passés en prison. Le verdict de ce procès est attendu vendredi, après 5 jours de débats. 

 

L’équipe de "L’onde du crime va suivre ces 5 jours de procès". Pour suivre, vous aussi son avancée, vous pouvez vous abonner à notre podcast.